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Comment le groupe Colisée fait-il face au vieillissement de la population et à la grande démission ?
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Christine Jeandel est présidente du groupe Colisée, l’un des plus grands groupes privés du secteur médico-social en France et l’un des leaders français dans la gestion des EHPAD. Elle explore avec nous les bienfaits de la Symétrie des Attentions© sur l’engagement des personnels soignants.
Notre colloque 2023, intitulé “L’expérience collaborateur de demain : revalorisons la notion de travail pour satisfaire les clients”, s’est déroulé le 28 septembre dernier. Nous avons eu la chance d’échanger avec des invités ayant une expérience riche de la Symétrie des Attentions© et une perspective unique. Comment réconcilier une massification de la demande client avec de fortes difficultés de recrutement ? C’est la question que nous tentons ici d’éclaircir.
Sommaire
Un paradoxe rendant le recrutement et la fidélisation des soignants de plus en plus difficiles
Entre 2020 et 2030, le nombre de Françaises et de Français, âgés de 75 à 84 ans, va augmenter de 50 %, passant de 4,1 millions à 6,1 millions. Par la suite, fort logiquement, dans la décennie suivante, c’est la population des plus de 85 ans qui va connaître une véritable explosion, avec un taux de croissance supérieur à 50 %.
En même temps, le recrutement et la fidélisation des équipes n’a jamais été aussi difficile. Le taux de démission est à un niveau historiquement haut, au même niveau qu’au 1er trimestre 2001, et les difficultés de recrutement sont massives, avec, en fonction des secteurs, 60 à 80 % des sociétés qui déclarent avoir des difficultés de recrutement.
Alors, comment les entreprises font-elles face à ce paradoxe ? Le bonheur au travail serait-il la solution ?
Pour approfondir ces enjeux, Daniel Ritter, président co-fondateur de la solution Better World, a posé quelques questions à Christine Jeandel, présidente du Groupe Colisée.
Comment le secteur du bien-vieillir réconcilie-t-il vieillissement de la population et grande démission : le témoignage de Christine Jeandel
Daniel Ritter : comment votre secteur approche-il le paradoxe entre vieillissement et grande démission ? Le bonheur au travail serait-il la solution ?
Christine Jeandel : d’abord, c’est la première fois dans notre société que cinq générations coexistent. Nous avons deux transition à vivre : la première est la transition environnementale, la deuxième est cette transition démographique. Les deux ont d’ailleurs été percutées par la crise du COVID.
Deux transitions qui affectent ce paradoxe
Pour ce qui est de la transition environnementale, je pense que nous avons tous pris conscience d’une certaine urgence. Et surtout, même si ça engagera des contraintes et des efforts pour chacun d’entre nous, nous sommes dans une dynamique positive, parce que chacun d’entre nous a envie de laisser à ses enfants, petits-enfants et arrière-petits-enfants une planète préservée. Est-ce qu’elle sera vivable de la même manière, pour tout le monde et de manière équitable ? C’est moins sûr, mais je crois que quelque part, ça porte un espoir ; en tout cas, on a envie de faire vivre cet espoir.
Pour la transition démographique, c’est plus difficile, parce que je pense qu’aucun d’entre nous n’a envie de se voir vieillir à 85, 90, 95 ou plus de 100 ans avec des soucis de santé. On a du mal à se projeter. La crise COVID a laissé un impact majeur : on a coupé les liens entre proches et habitants des maisons, par excès de protection sanitaire.
Une difficulté de recrutement claire
L’OMS estime qu’avec le vieillissement de la population, ce sont 10 millions de soignants qui vont manquer dans le monde entier. Donc, je rassure tout le monde, la France n’a pas le monopole. Cette pénurie de personnel soignant existe partout.
Deuxième élément, nous travaillons dans des professions dites réglementées, pour faire certains gestes techniques. Certains gestes sont réservés aux médecins, certains gestes sont réservés aux infirmières. Tout ça est très codifié, l’autonomisation de nos équipes est parfois un petit peu compliquée.
Troisième élément, ce sont des professions qui travaillent 24/24h et 7j/7: la semaine des quatre jours dans des métiers comme les nôtres n’est pas si simple que ça à organiser. Ça demanderait des ressources supplémentaires. Ce troisième élément, que j’appelle un peu la triple peine, c’est que ce sont des métiers dans lesquels le télétravail est quand même compliqué, il faut se déplacer pour aller au travail. Quand on additionne tout ça, cela explique en partie les difficultés de recrutement et de fidélisation. C’est le verre à moitié vide.
Le verre à moitié plein : ce sont des métiers qui sont extraordinairement variés, puisqu’on accompagne tous les instants de la vie. Pour les personnes âgées, ce sont des moments de partage assez extraordinaires, et qui permettent à chacun de nos soignants d’exercer leurs talents dans à la fois dans un geste technique, mais aussi dans le lien qu’il peut y avoir à partager, à l’occasion d’un repas, d’une animation, d’une visite dans un musée… C’est sur cette richesse et cette chance, sur ce pilier qu’il faut qu’on arrive à s’appuyer pour l’avenir.
Quel lien observez-vous sur le terrain entre le bonheur au travail des collaborateurs et le bonheur de vie des résidents et de leurs proches ?
Je suis très attachée à la Symétrie des Attentions. Ça ne résout pas tout, mais au moins ça permet de poser des fondamentaux. Nous avons décidé depuis 3 ans maintenant de mettre en place une analyse permanente de l’expérience, à la fois nos clients – qui sont à la fois des personnes que nous accompagnons et leurs proches, et ça peut être parfois deux, voire trois générations – et nos équipes. C’est simple : c’est un recueil d’avis. Nous avons pas loin de 40 000 clients maintenant. Ça donne un score de recommandation.
Mais on voulait aller plus loin que le score, et comprendre davantage les sentiments partagés, pour pouvoir corriger, expliquer à nos équipes et faire prendre conscience à chacun des managers sur le terrain de ce qui pouvait être amélioré au niveau de l’établissement, de l’unité ou de l’ensemble de l’entreprise. L’idée est de garder cette espèce d’agilité et ces interactions permanentes entre ce qui peut être fait en global dans l’entreprise. Au-delà du score, donc, ce recueil de verbatims est analysé par l’intelligence artificielle de la solution Better world. C’est quelque chose qui tourne de manière permanente chez nous, qui nous permet de mesurer les points d’amélioration et les plus critiques, en instantané.
Ça a remplacé notre enquête annuelle, pour laquelle il fallait attendre un an, plus encore 3 mois pour l’analyse et puis encore 3 mois… à la rapidité à laquelle vont les évolutions aujourd’hui, qu’elles soient réglementaires, sociétales, financières, ou des risques médiatiques qu’on peut avoir, il nous semble qu’il faut être vraiment dans l’instant présent. Nous sommes en train d’enrichir ce type de revue d’expérience avec les salariés qui nous quittent pour essayer de comprendre leur avis sur l’environnement des maisons.
Le groupe Colisée est présent en France, mais également en Espagne, en Italie et en Belgique. Comment voyez-vous dans ces différents pays ce contexte de tension des recrutements et de vieillissement de la population ?
Les problèmes sont à peu près partout les mêmes. L’herbe n’est pas plus verte ailleurs qu’en France. Par contre, les cultures sont extraordinairement différentes, et les analyses de verbatims qu’on fait ensemble sont différentes d’un pays à un autre. Pour prendre deux exemples :
L’Espagne
L’Espagne est un pays dans lequel se forment autour des maisons de vraies communautés, avec un vrai partage. On est en dehors de la relation “client à fournisseur”, qui est un peu ce qui nous pénalise en France. La communauté peut être la communauté religieuse, les proches des résidents ou des résidents de la maison d’à côté… Il y a une espèce de responsabilité collective. Les familles éprouvent moins de culpabilité à nous confier leurs proches. Chacun participe à la vie de la maison, le bénévolat est très, très fréquent, et considéré comme quelque chose de naturel.
Nos équipes espagnoles aussi ont la chance de pouvoir accompagner les résidents en groupe, parce que ce qui est important pour un non-résident en Espagne, c’est plutôt de vivre ensemble dans des espaces communs. Des moments de fêtes, des moments de joie. On en voit beaucoup, alors qu’en France, on aimerait refaire un chez-soi. Dire qu’on va recréer un chez-soi dans un espace collectif, c’est courir après quelque chose de totalement inatteignable. En Espagne, c’est beaucoup plus assumé. Quand on choisit de venir vivre dans une communauté, on s’engage vraiment, et on vit la vie de la communauté, y compris avec ses proches.
La Belgique
En Belgique c’est un peu différent. C’est beaucoup plus intergénérationnel. Les maisons sont ouvertes à tous les âges de la vie. Les Belges ne sont pas enfermés dans un accueil des établissements pour personnes âgées qui donnerait l’image d’un accompagnement de fin de vie, ce qui est beaucoup plus facile à gérer, je pense, pour les équipes. Ça porte un espoir et un message totalement différents. Les Belges sont aussi beaucoup plus attentifs à la question de la santé au travail. Ils nous demandent plus que leurs confrères français de leur donner les moyens de travailler avec le maximum de sécurité. La Belgique et les pays du nord de l’Europe sont globalement beaucoup plus exigeants que nous sur le sujet, avec des sanctions plus punitives.
Des liens entre les différents pays d’implantation
On a créé de manière très pragmatique un programme qui s’appelle “On a échangé nos maisons”, sur le modèle de l’émission “On a échangé nos mamans”. Les équipes ont trouvé ça génial. Il nous arrive assez fréquemment de proposer à des habitants d’une maison en Espagne de venir passer une semaine dans une maison en France ou en Belgique. Et bien sûr, il y a une partie de l’équipe qui accompagne les résidents. C’est une bonne manière, à la fois de permettre à nos résidents de voyager et d’avoir un moment de vacances, et à la fois de permettre à nos équipes, finalement, d’expérimenter le travail de l’autre, dans un autre pays, avec une autre culture. Et j’espère en tout cas de s’enrichir en toute autonomie.
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Dans un contexte de vieillissement de la population et de défi majeur en matière de recrutement, Christine Jeandel met donc en lumière l’importance de la Symétrie des Attentions. Cette approche, combinée à une analyse constante de l’expérience client et du personnel, offre des pistes pour relever ces défis. Permettre l’autonomie des équipes permet de recréer un sentiment de responsabilité. Et finalement, le partage d’expériences entre les équipes favorise l’enrichissement mutuel et la recherche de solutions novatrices.